Maarten Kossmann, A Study of Eastern Moroccan Fairy Tales.
FF Communications No. 274. Helsinki: Suomalainen Tiedeakatemia (Academia Scientiarum Fennica), 2000. 156 pp.
Hard (ISBN 951-41-0880-9), FIM 100,-
Soft (ISBN 951-41-0881-7), FIM 80,-

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Maarten Kossmann est bien connu des spécialistes pour ses travaux de linguistique berbère du Maroc et son intérêt pour la linguistique historique de la famille des langues berbères. Il a publié: Grammaire du parler berbère de Figuig (1997); Essai sur la phonologie du proto-berbère (1999); Esquisse grammaticale du rifain occidental (2000). Il est actuellement chargé de l’édition d’importants travaux inédits, laissés par Werner Vycichl.

Linguiste de terrain, M. Kossmann est naturellement attentif à l’oralité: il a recueilli des contes, en a traduit et publié en néerlandais. Il les étudie, ici, en s’inspirant d’une démarche scientifique avérée, celle de Max Lüthi (1975, 1985). Rappelons qu’au Maghreb, comme dans bien d’autres régions, c’est aux linguistes que nous devons, dans le passé, les textes les plus fiables. Qu’il suffise de citer, pour le seul Maroc, les corpus en dialectes berbères (A. Socin et H. Stumme 1894; H. Stumme 1895; V. Loubignac 1924; A. Renisio 1932; E. Destaing 1937) et ceux en dialectes arabes (par exemple: W. Marçais 1911 et G. Colin 1955 et 1957).

Nous saluons donc, avec plaisir, la parution de ce petit livre que publie M. Kossmann dans la très sérieuse et élégante collection ci-dessus mentionnée.

M. Kossmann étudie ici un corpus de quatre contes oraux en berbère du Maroc oriental (parfois émaillés d’arabe), dont il donne les textes originaux en annexes (pp. 104–149): les deux premiers, inédits (AT 451 et 707) ont été recueillis par lui-même à Figuig (1990 et 1991), les deux autres sont deux versions différentes (AT 480) d’un même conte des Beni Iznassen, l’une publiée par A. Renisio (1932) et l’autre extraite du manuscrit d’une thèse (Abdelkader Bezzazi, 1993). La présentation phrase à phrase (texte marocain et traduction), de ces deux versions d’un même conte permet d’apprécier une étonnante et remarquable constance du récit recueilli à soixante années d’intervalle auprès de locuteurs du même parler, si suggestive que la comparaison est traitée, d’emblée, en introduction (pp. 11–18). Ce comparatisme fondé sur le corpus des quatre textes, a guidé l’auteur dans le plan de l’exposé qui suit, étendu à l’ensemble de la littérature orale de cette grande région de l’Est marocain.

Après avoir présenté le contexte culturel local, M. Kossmann analyse le contenu des contes à travers les histoires, les personnages, le temps, les lieux familiers de l’univers du conte, les genres littéraires, toujours fondés sur des exemples tirés des textes (chap. I, pp. 19–38). Le choix de ces textes est judicieux: légende de “The Walking Tribe” (pp. 22–23) qui rend compte de l’origine des institutions, telles que la solidarité de la vie sociale; histoires facétieuses du très populaire Jha, frère de Nasreddin Hodja, et contes des deux compères, Chacal et Hérisson, illustrant l’art si prisé de la ruse et des jeux de mots (pp. 24–28).

L’approche de la structure (II, 39–51) permet de montrer l’équilibre de la composition – enchaînement successif de scènes en épisodes et d’épisodes en actes, selon le schéma proposé –, l’intégration de deux récits en un seul (AT 451), d’y reconnaître des parallélismes (dont l’auteur croit pouvoir souligner le caractère binaire), puis d’évoquer les formes des introductions, des épilogues, et les “éléments de liaison”. La fonction, souvent complexe, de ces “Connective Phrases” – que nous avons coutume d’appeler “signaux démarcatifs”, à la suite de Paulette Galand-Pernet (1973–74, 1976, 1981 et surtout 1998) – mériterait, à nos yeux, que le linguiste s’y attardât davantage ici (note 45, p. 49), comme ultérieurement (“Temporal Structure”, 65–69).

Sont ensuite analysés (III, 52–73) quelques aspects du style des contes: la sobriété de l’expression, l’absence de description, les actions de magie, les dialogues si fréquents, certaines répétitions et quelques indications de gestuelle et de communication avec le public (exemple d’apartés où le narrateur semble prendre fait et cause pour un personnage sous la forme répétitive: meskîn(a), “le/la pauvre”). Ajoutons – trait notable illustré par le conte de Sarsara, Annexe A – l’utilisation du procédé artistique, de mise en abyme. De même que la pièce jouée dans Hamlet permet, indirectement, de faire éclater la vérité, de même le récit raconté à la veillée par le personnage de notre conte est-il le moyen, à la fois subtil et incontestable, de révéler la trahison dont cette jeune fille a été victime. Assez fréquente dans le conte maghrébin, d’expression berbère comme d’expression arabe, la mise en abyme revêt diverses formes: celle du “conte dans le conte” comme ici, celle d’un proverbe, ou celle d’un objet, tel un tapis dont les images offertes à la vue reconstituent les faits dans leur authenticité. Dans tous les cas, le procédé répond au goût marqué du public pour l’allusion, tout en s’inscrivant dans la dynamique du récit.

Vient le quatrième et dernier chapitre (pp. 74–103) consacré à la “formule”, prise dans la signification et la fonction propres au conte. Deux catégories, également marquées par le rythme et l’assonance, en sont examinées:

1) formules initiales et finales, généralement brèves et poétiques.

Les premières ont pour fonction d’introduire l’auditoire dans le monde merveilleux:

“Il y avait jadis et il n’y avait pas …
Il y avait du basilic et du lys,
Des roses et du myrte,
Dans les jardins du Sultan” (p. 76).

Les dernières permettent au narrateur de se désolidariser de son histoire, pour mieux se protéger des éventuels maléfices que pourraient exercer les forces surnaturelles du conte:

“J’ai laissé mon histoire dans la rivière
Et je suis venu(e) parmi les gens de cœur” (p. 77).

2) formules, plus ou moins développées, qui interviennent dans le récit auquel elles sont le plus souvent (hormis quelques expressions religieuses) intimement liées.

Un trait commun aux deux: leur formulation en langue arabe. Notons qu’une typographie différente permet de repérer aisément ces formules, à la lecture du texte du conte (pp. 105–109).

Pourquoi le recours à l’arabisme, de la part du conteur berbérophone? Telle est la question qui se pose. M. Kossmann dégage, au moyen de nombreux exemples concrets, les fonctions qu’en revêt l’usage, dans la société concernée: tantôt parodiques (p. 83), tantôt esthétiques (comme dans le cas qui nous occupe). Soit dit en passant: ce jeu verbal, rendu possible par les contacts entre langues, n’est pas unique au Maroc; témoin: ces poèmes bilingues appelés “broderies” (matrûz) où alternent vers arabes et vers hébraïques (Zafrani 1996).

En ce qui concerne la formule initiale la plus récurrente (pp. 105, 116, 126), précisons d’abord qu’elle est empruntée à l’expression arabe en usage dans le jeu des devinettes, hajît-kum, ou à sa variante hajît-kum ma jît-kum (voire ma jît-ek) où dominent, plus que le sens des mots, les parallélismes et les assonances. La formule, en effet, correspond simplement à “je te donne une devinette à deviner” et, en début de conte, à “voici mon histoire” (plutôt que, littéralement: “I told you, I didn’t leave you”, p. 110).

Quant aux formules insérées en bonne place dans le cours du récit, voici, à titre d’illustration, l’une d’elles, bien connue, à quelques variations près, dans le conte maghrébin d’expression berbère (Lacoste 1965, 471; Amrouche 1966, 15 ) et arabe (Galley 1971, 45; Baklouti 1988, 116; Galley et Iraqui Sinaceur 1994, 81). Il s’agit d’une complainte où la jeune victime (AT 451) exprime sa détresse:

A jmâl ppa u mma
La taklu la tsherbu
L-khâdem wellât hurra
U-l-hurra wellât khâdem. (p. 107)

“O chameaux de mes père et mère
Ne mangez pas, ne buvez pas
L’esclave est devenue libre
Et la femme libre devenue esclave …” (p. 112)

M. Kossmann analyse ces petits textes poétiques dans leur forme – un domaine qui n’a encore jamais été véritablement étudié. Il dégage rimes, allitérations et assonances, répétitions et parallélismes, ainsi que deux types d’intonation: l’intonation “psalmodiée” et l’intonation propre à la récitation (pp. 90–95) – d’après les trois paramètres retenus: timbre vocal, structures rythmique et tonale. Il ouvre des perspectives de recherche. Souhaitons que, dans un avenir proche, il développe et approfondisse cette première esquisse.

Enfin, l’ouvrage est accompagné d’un index et de références bibliographiques. On regrettera, néanmoins, l’absence d’une véritable bibliographie et le silence qui est fait sur des travaux récents, comme ceux de Michael Peyron – pour ne citer qu’un exemple emprunté au seul domaine berbère.

Si l’auteur se réfère, à juste titre, à la méthode d’analyse employée par Max Lüthi (nous l’avons dit), on peut cependant se demander pourquoi il n’a pas tiré profit des avancées méthodologiques en littérature orale maghrébine publiées tout au long des 23 volumes de la revue française Littérature orale arabo-berbère. S’il cite les “signaux démarcatifs” de P. Galand-Pernet, il néglige pourtant de les utiliser.

A ces minimes réserves près, peut-être imputables à un problème de langue, cette étude, et la publication de ces trois contes du Maroc oriental dans leurs quatre versions très précisément établies, constitue un indiscutable apport à la connaissance du patrimoine littéraire oral maghrébin berbérophone.

Micheline Galley
Paris, C.N.R.S.

Camille Lacoste Dujardin Paris,
C.N.R.S.

Références

Amrouche, M.-T. 1966: Le grain magique. Paris: Maspero.

Baklouti, Naceur 1988: Contes populaires de Tunisie. Sfax: Institut National d’Archéologie et d’Arts.

Colin, Georges S. 1955: Chrestomathie marocaine. Paris: Adrien-Maisonneuve.

— 1957: Recueil de textes en arabe marocain. Paris: Adrien-Maisonneuve.

Destaing, Edmond 1937: Textes berbères en parler des Chleuhs du Sous. Paris: Leroux.

Galand-Pernet, Paulette 1981: Signalisation sur la route du conte. Esquisse d’un système sémiologique. Littérature orale arabo-berbère 12: 15–40.

— 1998: Littératures berbères. Des voix des lettres. Paris: PUF. Cf., en particulier: chap. IV, “Thèmes et structures”, pp. 107–158 et chap. V, “Poétique”. 159–220.

Galley, Micheline 1971: Badr az-Zîn et six contes algériens. Paris: Classiques Africains.

Galley, Micheline et Iraqui Sinaceur, Zakia 1994: Dyab, Jha, Lacâba … Le triomphe de la ruse. Paris: Classiques Africains.

Lacoste, Camille 1965: Traduction des légendes et contes merveilleux de la Grande Kabylie recueillis pas Auguste Mouliéras. Paris: Imprimerie Nationale – Paul Geuthner.

Loubignac, Victor 1924: Etude sur le dialecte berbère des Zaïan et Aït Sgougou. Paris: Leroux.

Marçais, Wiliam 1911: Textes arabes de Tanger. Paris: Leroux.

Peyron, Michael 1991: Deux contes berbères dans le parler des Ayt Ali ou Brahim de Tounfit (Haut Atlas marocain). Etudes et documents berbères 8: 53–62.

Renisio, A. 1932: Etude sur les dialectes berbères des Beni Iznassen. Paris: Leroux.

Socin, A. et Stumme, H. 1894: Der arab. Dialekt der Houwara des Wâd Sûs im Marokko. Leipzig.

Stumme, Hans 1895: Märchen der Schluh von Tazerwalt. Leipzig.

Zafrani, Haïm 1996: Traditions poétiques et musicales juives au Maroc. Journal of Mediterranean Studies 6, N. 1, M. Galley ed.: 135–146.

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(November): 14-16

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